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PV 28 septembre 2018 Etienne Wersinger
Finalement qu’est ce que le bonheur?
Pourquoi sommes nous amoureux?
L’amour maladie incurable…
J’aimerais vous parler aujourd’hui des deux plus importantes tendances sociales du siècle à venir, et peut-être des 10.000 prochaines années. Mais je voudrais commencer par une étude que j’ai réalisée sur le sentiment amoureux parce que c’est mon travail le plus récent. Mes collègues et moi-même avons réuni 32 personnes, éperdument amoureuses et leur avons fait passer un scanner IRM du cerveau. 17 étaient fous amoureux et leur amour leur était rendu. 15 autres étaient également éperdument amoureux mais venaient de se faire plaquer. C’est ce dont je voudrais d’abord vous parler avant d’évoquer mon idée du futur du sentiment amoureux.
« Qu’est-ce qu’aimer? » a dit Shakespeare. Je pense que nos ancêtres… je pense que les êtres humains se posent cette question depuis le jour où ils se sont assis près d’un feu ou qu’ils ont contemplé les étoiles, il y a un million d’années. J’ai commencé par essayer de comprendre ce qu’est le sentiment amoureux en étudiant les 45 dernières années de recherche sur … uniquement la psychologie et ce qui en ressort, c’est qu’un groupe d’événements spécifiques se réalise lorsqu’on tombe amoureux. La première chose est ce que j’appelle… une personne commence à prendre « une dimension particulière ». Un jour, un chauffeur-routier m’a dit: « Le monde avait un nouveau centre et ce centre s’appelait Mary Anne. »
George Bernard Shaw l’a dit un peu différemment. Il a dit, « l’Amour c’est surestimer les différences entre une femme et une autre. » Et c’est exactement ce que nous faisons. (Rires) Et votre attention ne se porte plus que sur cette seule personne.Vous pouvez faire la liste de ce qui ne vous plaît pas chez elle mais vous mettez tout cela de côté et vous vous concentrez sur ce que vous aimez chez elle. Chaucer a dit « L’amour est aveugle. »
Pour comprendre le sentiment amoureux, j’ai décidé de lire des poèmes du monde entier et je voudrais vous lire un très court poème chinois du huitième siècle car c’est un exemple quasi-parfait d’un homme totalement envoûté par une femme.C’est un petit peu comme lorsque vous êtes follement amoureux de quelqu’un et que vous marchez dans un parking. Sa voiture est différente de toutes les autres. Son verre de vin dans un dîner est différent de tous les autres. Et là, un homme est devenu accro à un matelas en bambou.
Voici le poème. C’est d’un homme qui s’appelle Yuan Chen : « Je ne peux supporter de ranger le matelas de bambou. La nuit où je t’ai ramenée chez moi, je t’ai regardée le dérouler. » Il est devenu accro à un matelas en bambou probablement en raison de la forte sécrétion de dopamine de son cerveau comme c’est le cas pour vous et moi.
Donc, non seulement cette personne prend une dimension particulière mais en plus votre attention se fixe sur elle. Vous l’idéalisez. Mais vous ressentez une énergie très forte. Un Polynésien a dit : « C’était comme sauter dans le ciel. » Vous veillez toute la nuit. Vous marchez jusqu’à l’aube. Lorsque les choses vont bien, vous ressentez une exaltation intense et un profond désespoir lorsqu’elles vont mal. Une vraie dépendance à cette personne. Un homme d’affaires new-yorkais m’a dit un jour: « Tout ce qu’elle aimait, j’aimais. » C’est simple. L’amour est très simple.
Vous devenez très possessif sexuellement. Vous savez, si vous couchez avec une personne de passage vous vous moquez de savoir si elle couche avec d’autres. Mais dès l’instant où vous tombez amoureux, vous devenez très possessif sexuellement. Je crois que c’est darwinien… il y a un enjeu darwinien dans cet aspect des choses. L’enjeu est de créer un lien suffisamment fort entre deux personnes pour élever des enfants ensemble.
Mais le principal trait de l’amour est le besoin : un besoin intense d’être avec cette personne, pas seulement sexuellement mais émotionnellement. Ou plutôt… ce serait agréable de partager le même lit mais vous voulez aussi qu’elle vous appelle au téléphone, qu’elle vous invite à sortir, etc., Qu’elle vous dise qu’elle vous aime. L’autre caractéristique principale est la motivation. Le moteur de votre cerveau se met en marche et vous désirez cette personne.
Puis cela devient une obsession. Quand je mets ces personnes dans la machine, juste avant que je ne les mette dans le scanner, je leur pose toutes sortes de questions. Mais ma question la plus importante est toujours la même. C’est : « Quel pourcentage du jour et de la nuit passez vous à penser à cette personne? » Et effectivement, ils répondent « Toute la journée, toute la nuit, je ne peux jamais arrêter de penser à elle ou à lui. »
On a donc scanné leurs cerveaux en leur demandant de regarder une photo de leur bien-aimé(e) puis une photo « neutre »avec une pause entre les deux. Ainsi nous pouvions trouver…regarder le même cerveau en état de forte activité et en état de repos. Et nous avons trouvé que de nombreuses régions du cerveau sont actives. En fait, une des zones les plus actives est la même que celle qui réagit lorsque vous ressentez l’effet d’une injection de cocaïne. Et c’est exactement ce qui se passe.
J’ai commencé à réaliser que l’amour n’est pas une émotion. J’avais toujours pensé qu’il s’agissait d’une série d’émotions allant du très fort au très faible. Mais c’est plutôt une dynamique. Ça part de l’esprit de la volonté, de l’envie. C’est la partie du cerveau qui veut un morceau de chocolat, qui veut gagner une promotion professionnelle. Le moteur du cerveau. C’est un besoin.
Et je pense que c’est plus fort que la dynamique de l’envie sexuelle. Si vous proposez à une personne de coucher avec vous et qu’elle répond « non merci » vous n’allez certainement pas vous suicider ou sombrer dans la dépression. Mais certainement, dans le monde, des gens tueront parce que leur amour est rejeté. Les gens vivent pour l’amour. Ils tuent par amour. Ils meurent par amour. Ils en font des chansons, des poèmes, des romans, des sculptures, des tableaux, des mythes, des légendes. On a trouvé des preuves de ce puissant processus cérébral dans plus de 175 sociétés. Je crois aujourd’hui que c’est le plus puissant processus cérébral au monde générant à la fois une joie ou une détresse immense.
Et j’en suis arrivée à la conclusion qu’il s’agit de l’un des trois processus cérébraux qui ont évolué à partir de l’accouplement et de la reproduction. L’un d’entre eux est le besoin sexuel : l’envie d’une gratification sexuelle. W.H. Auden a appelé cela « une intolérable démangeaison neurale » et en effet, c’est de cela qu’il s’agit. Çà vous titille un peu, comme quand vous avez faim. Le second de ces processus cérébraux est l’amour : cette exaltation, cette obsession propre à un amour naissant. Et le troisième processus cérébral est l’attachement : c’est une sensation de calme et de sécurité que l’on ressent pour un partenaire de long terme.
Et je pense que le besoin sexuel a évolué pour nous faire aller à la recherche de partenaires. Vous savez, vous pouvez le ressentir quand vous conduisez votre voiture. Il peut même ne pas se porter sur une personne en particulier. Je crois que l’amour a évolué pour nous permettre de canaliser notre envie d’accouplement vers un seul individu à la fois, en canalisant ainsi l’envie et les périodes d’accouplement. Et je crois que l’attachement, le troisième processus cérébral a évolué pour nous permettre de tolérer cet être humain, (Rires) au moins assez longtemps pour élever un enfant ensemble.
La première tendance est le travail des femmes, elles intègrent le monde du travail. J’ai observé 150… 130 sociétés à travers les données démographiques des Nations Unies. Et partout dans le monde, dans 129 sociétés sur 130, les femmes progressent sur le marché du travail parfois très très lentement, mais elles avancent… et elles comblent très lentement le fossé qui existe entre hommes et femmes en termes de pouvoir économique, de santé et d’éducation. C’est très lent.
Pour chaque tendance… sur cette planète, il y a une « contre-tendance ». Nous connaissons ça mais quand même… comme dit le proverbe arabe : « Les chiens aboient et la caravane passe. » Et en effet, la caravane passe. Les femmes avancent de nouveau sur le marché du travail. Et je dis « de nouveau » parce que ce n’est pas la première fois. Pendant des millions d’années, dans les prairies africaines, les femmes se sont déplacées pour récolter des légumes. Elles rentraient avec l’équivalent de 60 à 80% du repas du soir. Un double revenu par famille était standard. Et les femmes étaient considérées comme l’équivalent économique, social et sexuel de l’homme. En résumé, nous avançons vers le passé.
Puis la pire invention pour la femme fut la charrue. Quand la charrue a commencé à être utilisée dans l’agriculture, le rôle de l’homme s’est renforcé grandement. Les femmes ont perdu leur travail de cueilleuses mais avec la révolution industrielle et post-industrielle elles ont réapparu sur le marché du travail. En résumé, elles retrouvent la place qu’elles avaient voilà un million d’années, il y a 10.000, 100.000 ans. On retrouve l’une des traditions les plus remarquables de l’histoire de l’animal humain. Et cela va avoir un impact.
Je donne souvent une conférence entière sur l’impact des femmes sur le monde économique. Je vais juste aborder deux points et je passerai au sexe et à l’amour. Il existe de nombreuses différences entre les sexes. Celui qui pense que les hommes et les femmes sont semblables n’a jamais été parent d’un garçon et d’une fille. Je ne sais pas pourquoi ils veulent penser que les hommes et les femmes soient semblables. Nous avons beaucoup en commun, mais il y a beaucoup de choses que nous n’avons pas en commun.
Nous sommes, selon Ted Hugues, « Je crois que nous sommes faits pour être… nous sommes comme deux pieds. Nous avons besoin de l’autre pour avancer. » Mais nos cerveaux n’ont pas évolué de la même manière. Et on trouve encore et toujours de nouvelles différences dans nos cerveaux. Je vais juste aborder deux points puis je passerai au sexe et à l’amour. Le premier point est la capacité verbale de la femme. Les femmes savent s’exprimer.
La capacité de la femme à trouver le mot juste rapidement, l’articulation basique intervient au milieu du cycle menstruel lorsque le niveau d’oestrogène est au maximum. Mais même au cours de la menstruation, elles sont meilleures que l’homme moyen. Les femmes savent s’exprimer. Elles parlent depuis un million d’années, les mots étaient les outils des femmes. Elles ont tenu leur bébé face à elles, l’ont cajolé, l’ont grondé, l’ont éduqué grâce aux mots. Et elles acquièrent un pouvoir considérable.
Y compris dans des pays comme l’Inde ou le Japon où les femmes progressent lentement dans le monde du travail, elles entrent dans le journalisme. Je pense que la télévision est comme un immense feu de camp. On s’assied autour et elle forge nos esprits. En général, lorsque je passe à la télévision, les producteurs qui m’appellent pour négocier de ce dont on va parler, sont des femmes. Soljenitsyne a dit: « Avoir un grand écrivain, c’est avoir un autre gouvernement. »
Aujourd’hui, 54% des écrivains américains sont des femmes. C’est l’une des nombreuses caractéristiques que les femmes ont et qu’elles proposent sur le marché du travail. Elles ont des incroyables capacités de communication, de négociations.Elles ont une immense imagination. On connaît aujourd’hui le processus cérébral de l’imagination, de la planification à long terme. Elles ont tendance à avoir une pensée en réseau. parce que les éléments cérébraux féminins sont mieux connectés,elles ont tendance à collecter plus de données lorsqu’elles réfléchissent, à les inclure dans des actions plus complexes, à analyser davantage d’options et de solutions. Elles collent au contexte, ont une approche holistique, ce que j’appelle une pensée en réseau.
Les hommes ont tendance… et ce sont des moyennes… à se débarrasser de ce qu’ils considèrent comme étranger à la question, à se concentrer sur ce qu’ils font et à développer un type de réflexion étape par étape. Ce sont deux types de réflexions efficaces. Nous avons besoin des deux pour avancer. En fait, il y a plus de génies masculins dans le monde.Quand le… et il y a aussi beaucoup plus d’imbéciles masculins dans le monde. (Rires) Quand le cerveau masculin fonctionne bien, il fonctionne extrêmement bien. Et je… ce que je crois c’est que nous allons vers une société collaborative,une société dans laquelle les talents des hommes et des femmes sont de mieux en mieux compris, valorisés et utilisés.
Mais le fait que les femmes progressent sur le marché du travail a un énorme impact sur la sexualité, l’amour et la vie de famille. De plus, les femmes commencent à exprimer leur sexualité. Je suis toujours frappée lorsque les gens me disent :« Pourquoi l’adultère est-il si souvent masculin? » et je réponds, « Pourquoi pensez-vous que l’adultère soit plus masculin que féminin? » « Eh bien… l’adultère c’est les hommes! » « Et vous pensez que ces hommes couchent avec qui? » Et… logique mathématique! (Rires)
Bref. Dans le monde occidental, les petites filles commencent… les femmes ont des rapports sexuels plus précoces, ont plus de partenaires, expriment moins de remords quant à leurs partenaires, se marient plus tard, ont moins d’enfants, quittent un mauvais mariage pour trouver mieux. On constate une expression grandissante de la sexualité féminine. Et, encore une fois, on se dirige vers le même type d’expression sexuelle que nous avons probablement connu dans les prairies africaines il y a un million d’années parce que c’est le type d’expression sexuelle que l’on retrouve dans les sociétés de chasse et les communautés aujourd’hui.
On constate aussi une montée de l’amour. 91% des femmes américaines et 86% des hommes américains ne se marieraient pas avec quelqu’un même s’il avait toutes les qualités qu’ils recherchent chez un partenaire, s’ils n’étaient pas amoureux de cette personne. A travers l’étude de 37 sociétés, les êtres humains veulent être amoureux de la personne qu’ils épousent. Les mariages arrangés sont en effet en train de disparaître.
Je crois même que les mariages pourraient même devenir plus solides grâce de la seconde grande tendance. La première, ce sont les femmes qui progressent sur le marché de l’emploi, la seconde c’est le vieillissement de la population. On entend dire aujourd’hui aux Etats-Unis que jusqu’à 85 ans, on est quelqu’un d’âge moyen, parce que dans la classe la plus âgée de cette catégorie de gens, de 76 à 85 ans, 40% des gens vivent sans aucun problème. On constate donc une réelle extension du concept de l’ »âge moyen ».
Et pour l’un de mes livres, j’ai étudié les divorces dans 58 sociétés. Et la conclusion, c’est que plus vous vieillissez, moins vous avez de chances de divorcer. Aux Etats-Unis, le taux de divorce aujourd’hui est stable et il commence même à diminuer. Il devrait encore baisser. Et je dirais qu’avec le Viagra, les oestrogènes de synthèses, les prothèses de hanche et les femmes incroyablement intéressantes… Les femmes n’ont jamais été aussi intéressantes. C’est la première fois dans l’histoire que les femmes sont aussi éduquées, intéressantes, qualifiées. Et honnêtement, s’il est une époque dans l’histoire de l’humanité, où nous avons l’occasion de réussir nos mariages, c’est aujourd’hui.
Bien sûr, il y a toujours des écueils. Les trois processus cérébraux : le désir, l’amour et l’attachement ne se combinent pas toujours parfaitement. Ils peuvent très bien se combiner, cela dit en passant. C’est pour cela que les relations sexuelles occasionnelles ne sont pas toujours si désinvoltes. Au cours de l’orgasme, il y a un pic de dopamine. La dopamine étant associée à l’amour, vous avez une bonne chance de tomber amoureux d’une personne avec qui vous couchez occasionnellement. Avec l’orgasme, vous avez une montée d’oxytocine et de vasopressine, ces deux-là sont associés à l’attachement. C’est pour cela qu’on ressent parfois un sentiment d’union cosmique avec quelqu’un, après avoir fait l’amour.
Mais ces trois processus cérébraux : désir, amour et attachement, ne sont pas toujours connectés entre eux. Vous pouvez ressentir un profond attachement pour un partenaire de long terme tout en ressentant un sentiment d’amour intense pour quelqu’un d’autre et en ayant une attirance sexuelle pour d’autres personnes. En résumé, nous sommes capables d’aimer plus d’une personne à la fois. En fait, vous pouvez être allongé au lit la nuit et passer de sentiments profonds d’attachement pour quelqu’un à des sentiments d’amour intense pour quelqu’un d’autre, un peu comme s’il y avait un comité qui se réunissait dans votre cerveau pendant que vous essayez de décider ce que vous devez faire. Et donc honnêtement, je ne pense pas que nous soyons un animal programmé pour être heureux, mais plutôt destiné à nous reproduire. Je crois que le bonheur que nous trouvons, nous le fabriquons. Et je pense que nous pouvons tisser des bons liens entre nous.
Je conclurai avec deux points : il y a un point qui m’inquiète, une inquiétude et une magnifique histoire. Cette inquiétude, ce sont les anti-dépresseurs. Aux Etats-Unis, plus de 100 millions de prescriptions d’anti-dépresseurs sont délivrées chaque année. Ces médicaments deviennent des génériques et se répandent dans le monde entier. Je connais une jeune fille qui prend des anti-dépresseurs à base de sérotonine SSRI – des antidépresseurs augmentant la sérotonine – depuis qu’elle a 13 ans. Elle en a aujourd’hui 23. Elle en prend depuis qu’elle a 13 ans.
Je n’ai rien contre les personnes qui en prennent à court terme lorsqu’ils traversent une situation pénible, dans le cas de personnes qui veulent se suicider ou tuer quelqu’un, c’est une très bonne chose à mon avis. Mais aux Etats-Unis, de plus en plus de gens en prennent sur de longues périodes. Et ces médicaments augmentent les niveaux de sérotonine et en augmentant les niveaux de sérotonine, ils coupent le circuit de dopamine. Tout le monde sait ça. La dopamine est associée à l’amour. Donc, non seulement le circuit de dopamine est coupé mais ils effacent le besoin sexuel. Et en tuant le besoin sexuel, vous tuez l’orgasme. Et en tuant l’orgasme, vous tuez le flux d’hormones associé à l’attachement. Ces éléments sont connectés dans le cerveau. Et lorsque vous intervenez sur un processus cérébral, vous touchez à un autre processus.Je dis simplement qu’un monde sans amour est un endroit mortel.
Et… (Applaudissements)… Merci. Je voudrais terminer par une histoire et puis un commentaire. J’étudie l’amour, le sexe et l’attachement depuis 30 ans. J’ai une sœur jumelle et je m’intéresse à nos points communs. Pourquoi sommes-nous identiques, pourquoi les Irakiens, les Japonais les Aborigènes d’Australie et les peuples du fleuve Amazone sont-ils tous semblables?
Il y a un an, un site de rencontres, Match.com m’a contactée et m’a demandée de dessiner un nouveau site de rencontre pour eux. Je leur ai dit: « Je ne connais rien en matière de personnalité, vous êtes sûrs de vous adresser à la bonne personne? » « Oui. » ont-ils dit. Cela m’a forcée à me demander pourquoi on tombe amoureux d’une personne plutôt que d’une autre.
C’est le projet sur lequel je travaille, ce sera le sujet de mon prochain livre. Il y a tout un tas de raisons qui font que vous tombez amoureux d’une personne plutôt que d’une autre. Le timing est important, la proximité est importante. Le mystère est important. Vous tombez amoureux de quelqu’un qui porte un certain mystère en partie parce que le mystère accentue le taux de dopamine dans le cerveau, et sans doute vous fait franchir le seuil du sentiment amoureux. Vous tombez amoureux de quelqu’un qui correspond à ce que j’appelle « votre carte amoureuse » une liste inconsciente de points que vous construisez de l’enfance à l’âge adulte. Et je pense aussi que ce que vous devenez… que vous fréquentez des gens qui ont, d’une certaine manière, des processus cérébraux complémentaires. Et c’est sur cela que je travaille maintenant.
Mais je voudrais vous raconter une histoire, en guise d’exemple. Je viens de parler de l’aspect biologique de l’amour, je voudrais aussi vous montrer un peu de la culture de l’amour, de la magie de l’amour. C’est une anecdote que m’a raconté quelqu’un qui venait de l’entendre de… probablement une histoire vraie. C’était un jeune diplômé à… Je suis à Rutgers et mes deux collègues… à Art Aaron et SUNY Stonybrook. C’est l’endroit où nous mettons les gens dans le scanner IRM.
Et cet étudiant était follement amoureux d’une autre étudiante mais elle ne l’aimait pas. Et ils participaient à une conférence à Beijing. Et il savait de notre étude que si vous faites quelque chose de nouveau avec quelqu’un vous pouvez provoquer une montée de dopamine dans son cerveau et peut-être déclencher un sentiment amoureux. (Rires) Alors il a décidé de faire appel à la science et il a invité la jeune fille à faire un tour de pousse-pousse avec lui.
Je n’ai jamais essayé mais apparemment vous zigzaguez entre les bus, les camions tout va très vite, il y a du bruit, c’est excitant. Et il a pensé que cela provoquerait une montée de dopamine et qu’elle tomberait amoureuse de lui. Les voilà donc partis : elle pousse des cris, se serre contre lui, ils rient et passent un moment merveilleux. Une heure plus tard, ils descendent du pousse-pousse, elle lève les bras en l’air et dit: « C’était pas génial? » puis, « le chauffeur du pousse-pousse était super beau, non? » (Rires)
La magie de l’amour! Je finirais en disant qu’il y a un million d’années, nous avons développé trois besoins fondamentaux :le besoin sexuel, l’amour et l’attachement pour un partenaire à long terme. Ces circuits marquent profondément l’esprit humain. Ils survivront aussi longtemps que notre espèce survivra dans ce que Shakespeare appelle « cette enveloppe mortelle. »
Merci
« Le bonheur » une réflexion mise à l’étude
Et le cerveau dans tout çà… médite!!!!
Quand vous avez 21 minutes pour parler, deux million d’années semblent infini. Mais en termes d’évolution, deux millions d’années c’est négligeable. Et pourtant, en deux millions d’années, la masse du cerveau humain a presque triplé, en commençant par le cerveau d’un demi kilo de notre ancêtre Habilis, jusqu’au pain de viande de près d’un kilo et demi que nous avons tous entre les oreilles. Pourquoi la nature tenait-elle tant à nous pourvoir d’un gros cerveau?
Il s’avère que lorsque la taille d’un cerveau triple, en plus d’augmenter de volume, il se munit de nouvelles structures. Et si notre cerveau a pris tant d’ampleur c’est surtout parce qu’il a acquis une nouvelle « pièce », le lobe frontal et plus particulièrement une région appelée le cortex préfrontal. Qu’accomplit pour nous le cortex préfrontal qui puisse justifier la restructuration complète du crâne humain en une fraction de temps évolutionnaire?
Il s’avère que le cortex préfrontal accomplit un tas de choses, mais l’une des plus importantes est la simulation d’expériences. Les pilotes d’avion s’entraînent sur des simulateurs de vols pour éviter les erreurs lors de vols réels. L’être humain possède cette merveilleuse adaptation qui lui permet de simuler mentalement ce qu’il projette faire dans la vie réelle. C’est une prouesse qu’aucun de nos ancêtres ne pouvait accomplir et qu’aucun autre animal ne fait aussi bien que nous. C’est une adaptation extraordinaire. Tout comme la préhension, se déplacer sur deux jambes et le langage, c’est l’une des choses qui a fait descendre notre espèce de l’arbre pour la conduire au centre commercial.
Et….(rire)—nous l’avons tous fait. Bien sûr, Ben & Jerry’s n’a pas de glace au foie et à l’oignon. Ce n’est pas parce qu’ils en ont testé et fait «Beurk!». C’est parce que sans quitter son fauteuil, on peut simuler cette saveur et faire «Beurk!».
Personne n’est en mesure de définir le bonheur d’autrui..
Voyons comment fonctionnent nos simulateurs d’expériences. Faisons un diagnostique rapide avant de poursuivre. Je vous invite maintenant à envisager deux versions du futur. Essayez de les simuler et dites-moi laquelle vous préféreriez. L’une est de gagner au loto. Disons, 314 millions de dollars. Et l’autre est de devenir paraplégique. Pensez-y un moment. Vous ne croyez probablement pas avoir à y réfléchir longuement.
Chose intéressante, il existe des données sur ces deux groupes de gens qui illustrent leur niveau de bonheur. Voici ce à quoi vous vous attendez, non? Mais ça, ce ne sont pas les données. Je les ai fabriquées!
Voici les données réelles. Vous avez échoué le test et vous n’en êtes qu’au début du cours. Parce qu’il s’avère qu’un an après avoir perdu l’usage de leurs jambes, ou avoir gagné au loto, les gagnants de loteries et les paraplégiques sont aussi heureux les uns que les autres.
Ne vous en faites pas trop d’avoir échoué le premier test, parce qu’ invariablement tout le monde échoue ces tests. Les recherches effectuées par mon laboratoire et par les économistes et les psychologues du pays dévoilent quelque chose d’assez étonnant. Il s’agit du biais de l’impact, c’est à dire, la tendance à disjoncter du simulateur qui tend à nous faire croire que la différence entre les résultats est plus significative qu’elle ne l’est en réalité.
Les enquêtes sur le terrain et en laboratoire démontrent que le fait de gagner ou perdre une élection, conquérir ou perdre un amoureux, obtenir une promotion ou non, réussir ou échouer un examen à l’université etc., a moins d’impact, est moins intense et plus éphémère que les gens ne s’y attendent. Une étude récente et très étonnante concernant l’impact de graves traumatismes de vie suggère que ce que nous avons vécu il y a plus de trois mois, à peu d’ exceptions près, n’a aucun impact sur notre bonheur.
Pourquoi? Parce que le bonheur peut être fabriqué. Sir Thomas Brown écrivait en 1642, «Je suis l’homme le plus heureux du monde. J’ai en moi ce qui peut transformer la pauvreté en richesse, l’adversité en prospérité. Je suis encore plus invulnérable qu’Achille; je suis à l’abri du destin. » Quelle sorte d’engin remarquable cet homme a-t-il donc dans la tête?
Il s’avère que c’est exactement le même engin que nous possédons tous. Les êtres humains sont dotés de ce qu’on pourrait appeler un système immunitaire psychologique. Un système de processus cognitifs essentiellement inconscients qui nous permet d’altérer notre vision du monde de sorte à nous réconforter face aux situations que nous vivons. Tout comme Sir Thomas, nous possédons cet engin. mais nous ne semblons pas le réaliser.
Nous fabriquons le bonheur mais croyons que le bonheur est quelque chose que l’on trouve. Nous connaissons tous des gens qui fabriquent leur bonheur. Je vais tout de même vous présenter des données et on n’a pas à chercher très loin. j’ai cherché dans le New York Times des exemples de gens qui fabriquent leur bonheur. En voici trois exemples: «Je me sens tellement mieux physiquement, financièrement, émotivement, mentalement et en presque tout autre aspect. » «Je n’ai aucun regret. » «C’était une expérience glorieuse. » «Je crois que tout s’est terminé pour le mieux. »
Les créateurs de leur bonheur
Qui sont ces énergumènes qui sont si heureux? Le premier est Jim Wright. Les plus vieux se souviendront de lui: il était président de la Chambre des représentants et il a démissionné dans la honte lorsqu’un jeune républicain nommé Newt Gingrich a découvert qu’il avait fait une transaction louche. Le démocrate le plus influent du pays a tout perdu. Il a perdu son argent, son pouvoir. Qu’en dit-il des années plus tard? « Je me porte tellement mieux physiquement, financièrement, mentalement et en presque tout autre aspect.» En quel autre aspect peut-on se porter mieux? Végétal? Minéral? Animal? Tout semble bien avoir été adressé.
Vous ne connaissez pas Moreese Bickham. Il a dit ces mots lorsqu’il a été libéré. Il avait 78 ans et il avait passé 37 ans dans une prison de la Louisiane pour un crime qu’il n’avait pas commis. Il a finalement été innocenté à l’âge de 78 ans suivant un test d’ADN. Et qu’avait-il à dire de son expérience? «Je n’ai aucun regret. C’était une expérience glorieuse. » Glorieuse! Cet homme ne dit pas, «Il y avait des gens sympas et une salle d’entraînement. » C’est « glorieux », un terme que nous conférons généralement aux expériences religieuses.
Harry S. Langerman a proféré ces mots et son nom pourrait vous être familier mais il ne l’est pas, parce qu’en 1949 il lit un article dans un journal au sujet d’un kiosque d’hamburgers appartenant à deux frères dénommés McDonald. Et il se dit « C’est vraiment une idée géniale! » Il les rencontre. Ils lui disent « Nous pouvons vous céder une franchise pour 3000 dollars. » De retour à New York, Harry demande à son frère, un banquier en investissement, de lui prêter les 3 000 dollars et son frère de lui répondre «Personne ne mange d’hamburgers.» Il ne lui prêtera pas l’argent et six mois plus tard Ray Croc eut la même idée. Oui, les gens mangent des hamburgers, et Ray Croc est devenu pour un temps l’homme le plus riche en Amérique.
Et puis finalement, certains d’entre vous reconnaîtrez cette photo d’un jeune Pete Best, qui fut le premier batteur des Beatles, jusqu’à ce qu’ils l’évincent et engagent Ringo pendant une tournée. Lors d’une entrevue en 1994, Pete Best –oui, il est encore batteur et musicien de studio— dit: «Je suis plus heureux que je ne l’aurais été avec les Beatles. »
Ces gens ont quelque chose d’important à nous apprendre: le secret du bonheur. Le voilà enfin révélé. Premièrement: accumulez richesse, pouvoir et prestige et ensuite perdez-les. (Rire) Deuxièmement: passez le plus clair de votre vie en prison. (Rire). Troisièmement: rendez quelqu’un très, très riche. (Rire) Et finalement: surtout, ne devenez jamais membre des Beatles. (Rire) «Mouais » Parce que lorsque les gens fabriquent leur bonheur, comme semblent l’avoir fait ces messieurs, nous leur sourions, incrédules, en nous disant: «Mouais, au fond, tu ne voulais pas vraiment ce boulot. » «Mouais, au fond, tu n’avais pas tant en commun avec elle et tu l’as réalisé précisément au moment où elle t’a balancé sa bague de fiançailles à la figure.»
Sceptiques, nous croyons que le bonheur fabriqué n’est pas de la même qualité que le bonheur dit «naturel» . Que signifient ces termes? Quand nous obtenons ce que nous voulons, on parle de bonheur naturel, sans quoi on parle de bonheur fabriqué. Et dans notre société, nous croyons fortement que le bonheur fabriqué est de moindre qualité. D’où vient cette croyance? C’est très simple. Quel type de moteur économique arriverait à tourner si nous croyions qu’avec ou sans ce que l’on veut nous serions également heureux?
Toutes mes excuses auprès de mon ami Matthieu Ricard, mais un centre commercial bondé de moines Zen ne serait pas particulièrement rentable puisqu’ ils ne désirent pas grand-chose. Je veux vous faire réaliser que le bonheur synthétique est tout aussi authentique et durable que le bonheur sur lequel on tombe lorsqu’on obtient exactement ce qu’on visait. En tant qu’homme de science, je serai direct en vous faisant part de quelques données.
Voici un modèle expérimental utilisé pour démontrer la fabrication du bonheur chez le commun des mortels. Depuis 50 ans, on utilise «le paradigme du libre choix» C’est très simple. On apporte, disons, six objets, et on demande au sujet de les placer en ordre inverse de préférence. Dans l’exemple auquel je fais référence, il s’agit de reproductions de Monet. On lui demande donc de classer ces reproductions en ordre inverse de préférence. Et on lui offre le choix suivant: « Nous avons des reproductions en surplus. Nous allons vous en offrir une Vous devez choisir entre la troisième et la quatrième. » Ce choix est un peu difficile car l’une n’est pas beaucoup plus prisée que l’autre, mais les gens choisiront plutôt la troisième puisqu’ils la préfèrent légèrement à la quatrième.
De 15 minutes à 15 jours plus tard, les mêmes stimuli sont présentés au sujet et on lui demande de les classer de nouveau. «Comment les classeriez-vous maintenant? » Et que se produit-il alors? Ce résultat s’est répété à maintes reprises: Observez la fabrication du bonheur. C’est ça le bonheur! «Celui que j’ai est mieux que je ne le croyais! Celui que je n’ai pas eu est moche! » (Rire) Ça, c’est la fabrication du bonheur.
Quelle est votre réaction à cela? «Mouais?» Alors voici l’expérience que nous avons faite et j’espère qu’elle vous convaincra que «Mouais» est erroné.
Nous avons fait cette expérience avec un groupe de patients hospitalisés qui souffrent d’amnésie antérograde. La plupart souffrent du syndrome de Korsakoff, une psychopolynévrite. Suite à une consommation excessive d’alcool, ils n’ont plus de mémoire à court terme. Ils se rappellent leur enfance, mais si vous vous présentez à eux et quittez ensuite la pièce, ils ne vous reconnaîtront pas à votre retour.
Nous avons apporté nos Monet à l’hôpital et avons demandé à ces patients de les classer par ordre inverse de préférence. Nous leurs avons ensuite donné le choix entre la troisième et la quatrième. Comme tous les autres, ils ont dit: «Merci docteur! C’est génial! J’avais besoin d’un nouveau tableau. Je prendrai le troisième.» Nous leur avons expliqué que nous le leur ferions parvenir. Nous avons ramassé notre matériel, nous sommes sortis et avons attendu une demi-heure. De retour à la chambre : « Bonjour, nous revoici. » Les patients nous répondent : «Désolé docteur, j’ai un problème de mémoire, c’est pourquoi je suis ici. Si je vous ai déjà rencontré, je ne m’en souviens pas.» «Vraiment, Jim, tu ne t’en souviens pas? J’étais ici plus tôt avec les Monet? » «Désolé docteur, je n’en ai aucun souvenir.» « Pas de soucis, Jim. J’aimerais simplement que tu classes ces reproductions par ordre inverse de préférence.»
Que font alors les patients? Assurons-nous d’abord qu’ils soient réellement amnésiques. Nous demandons à ces patients de nous dire laquelle ils avaient choisie au départ. Résultat: les amnésiques répondent au hasard. Voici un groupe contrôle normal qui, comme vous, identifierait aisément la reproduction choisie. Mais dans le cas des amnésiques, ils n’en ont aucune idée. Ils n’arrivent pas à repérer leur reproduction.
Voici ce que font les gens du groupe contrôle normal: ils fabriquent leur bonheur. Vous voyez? Ils modifient leur préférence d’une fois à l’autre. Ces sujets démontrent –c’est la magie que je vous montrais et la voici ici sous forme graphique— «Celle qui m’appartient est mieux que je ne le croyais. L’autre n’est pas aussi bien que je le croyais. » Les amnésiques font précisément de même. Que nous indiquent ces résultats?
Ils préfèrent celle qui leur appartient, bien qu’ils ignorent la posséder. « Mouais » est erroné! Pour fabriquer leur bonheur, ces gens ont profondément changé leur réaction affective, hédoniste et esthétique envers cette reproduction. Non pas parce qu’elle leur appartient, puisqu’ils l’ignorent.
Les graphiques des psychologues illustrent la réaction type des individus. Pourtant, nous avons tous ce système immunitaire psychologique, cette faculté de fabriquer le bonheur, mais certains d’entre nous le faisons mieux que d’autres. Aussi, certaines situations s’y prêtent mieux que d’autres. Il s’avère que la liberté –l’aptitude à se faire une opinion et de changer d’avis— est l’alliée naturelle du bonheur, puisqu’elle nous permet de choisir l’avenir qui nous convient le mieux. Mais la liberté de choisir est l’ennemi du bonheur fabriqué. Je vais vous démontrer pourquoi.
Dilbert le sait lui. Le technicien dit: « Comment puis-je te malmener?» « Mon imprimante rend une page blanche après chaque document. » « Pourquoi te plains-tu d’avoir du papier gratuit? » « Gratuit? Mais c’est mon papier, non? » « Tu rigoles? Compare la qualité de ce papier gratuit à celle de ton papier pourri! Seul un fou ou un menteur prétendrait qu’ils se ressemblent! » « Ah! Ma foi c’est vrai, Il semble un peu plus soyeux! » « Que fais-tu? » « J’aide les gens à accepter ce qu’ils ne peuvent changer. » Voilà.
Le système immunitaire psychologique fonctionne mieux quand nous sommes complètement coincés. C’est la différence entre une sortie et être marié, non? Si vous sortez avec un homme et qu’il se joue dans le nez; vous ne le reverrez plus. Mais si vous êtes marié à quelqu’un qui se joue dans le nez, on se dit qu’il a un coeur en or et on laisse passer le reste. Non? (rire) On trouve toujours le moyen d’être heureux. Je vais vous démontrer que ce que nous ignorons à notre sujet peut éventuellement nous causer graves préjudices.
Avons nous réellement le choix du bonheur?
Nous avons fait une expérience à Harvard. Nous avons créé un cours de photographie et avons enseigné aux étudiants comment utiliser une chambre noire. Nous leur avons remis des appareils photo, ils ont fait le tour du campus et pris 12 clichés de leurs professeurs préférés, leur dortoir, leur chien et autres souvenirs qu’ils voulaient conserver. Ensuite, nous avons tiré une planche-contact et ils ont choisi leurs deux photos favorites. On a passé six heures à les développer avec eux et ils les ont agrandies. Ils ont deux superbes photos glacées grand format de ce qui leur tient le plus à coeur et on leur demande: « Laquelle comptes-tu nous redonner? » « Je dois en redonner une? » « Oui. Nous devons en garder une pour témoigner du projet scolaire. Tu dois donc faire un choix. Tu en gardes une et je garde l’autre. »
Cette expérience comporte 2 conditions. Dans l’une, nous disons aux étudiants: « Au cas où tu changerais d’avis, je garde l’autre quatre jours mais ensuite je dois la faire parvenir au bureau chef. Je serai heureux de »–(Rire)–ouais, «bureau chef»— « Je serai heureux de te l’échanger. En fait, je passerai à ton dortoir –encore mieux, je vérifierai auprès de toi par mail. Et si tu changes d’idée, il est tout à fait possible de l’échanger. » À l’autre moitié des étudiants, on dit exactement l’inverse: « Fais ton choix tout de suite car nous devons l’envoyer en Angleterre sans délai. Ta photo va s’envoler au dessus de l’Atlantique et tu ne la reverras plus jamais. » On demande à la moitié des sujets de chaque groupe de prédire s’ils croient qu’ils seront toujours heureux du choix qu’ils ont fait. L’autre moitié est simplement invitée à retourner au dortoir et trois à six jours plus tard, nous leur demandons, à eux aussi, s’ils sont toujours heureux du choix qu’ils ont fait. Voyez ce que nous découvrons.
Tout d’abord, voici ce à quoi les étudiants s’attendent : ils croient qu’éventuellement ils préféreront la photo qu’ils ont choisie à celle qu’ils ont cédée, mais cette différence n’est pas statistiquement significative. Elle est minime. Il importerait donc peu qu’ils aient participé à l’une ou l’autre des conditions.
Non. Mauvais simulateurs. Voici plutôt ce qui se produit : Que ce soit juste avant l’échange ou cinq jours plus tard, ceux qui sont coincés avec leur photo, qui n’ont pas le choix, qui ne pourront jamais l’échanger, l’aiment beaucoup! Alors que ceux qui tergiversent– «Devrais-je l’échanger? Ai-je choisi la bonne? Peut-être que non? Peut-être ai-je cédé la bonne? »–agonisent. Ils n’aiment pas leur photo. En effet, même une fois la date butoir passée ils ne l’aiment toujours pas. Pourquoi? Parce que la condition réversible n’est pas propice à la fabrication du bonheur.
Et voici la dernière étape de cette expérience. On recrute un nouveau groupe d’étudiants à Harvard et leur disons: « Nous offrons deux cours de photographie Dans l’un, vous aurez quatre jours pour choisir entre vos deux photos et dans l’autre cours, vous devez choisir sur-le-champ. Quel cours préférez-vous joindre? » Évidemment, 66% des étudiants, les deux tiers, choisissent le cours où ils pourront changer d’idée. Comment? 66 % des étudiants choisissent le cours dans lequel ils sont voués à être profondément insatisfaits de leur photo. Parce qu’ils ignorent les conditions indispensables à la fabrication du bonheur.
Shakespeare l’a bien dit et il confirme ma position de manière emphatique: « Rien n’est en soi bon ni mauvais; tout dépend de ce qu’on en pense. » Jolie poésie, mais est-ce tout à fait vrai? N’y a-t-il vraiment rien de bien ou de mal? Une ablation de la vésicule équivaut-elle vraiment à un voyage à Paris? Bien sûr que non. La question peut-elle même se poser?
En prose plus pompeuse, mais plus près de la vérité, Adam Smith, le père du capitalisme moderne, disait ceci et cela mérite qu’on s’y arrête: « La source ultime du malheur et des problèmes de la vie humaine semble se trouver dans la surestimation de la différence entre une situation permanente et une autre. Certaines situations sont sans aucun doute préférables à d’autres, mais aucune d’elles n’est digne d’être convoitée avec cette avide ferveur qui nous mène à enfreindre les conventions de la prudence ou de la justice, ou à corrompre notre quiétude d’esprit par honte face à nos sottises du passé, ou par remord face à l’horreur de notre propre injustice. » En d’autres mots: oui, certaines choses valent mieux que d’autres.
Il est normal d’avoir des préférences pour un type d’avenir plutôt qu’un autre. Mais lorsque ces préférences nous tiraillent trop fort et trop vite et que nous surestimons la différence du résultat de nos choix, nous sommes en danger. Lorsque notre ambition est maîtrisée, elle nous mène à la joie. Lorsque notre ambition est débridée, elle nous pousse à mentir, tricher, voler, blesser les autres et à sacrifier ce qui importe vraiment. Quand nos craintes sont contenues, nous sommes prudents, circonspects, attentionnés. Quand nos peurs sont débridées et amplifiées, nous sommes irréfléchis et lâches.
La leçon que j’aimerais que vous tiriez de ces données est que nos désirs et nos inquiétudes sont souvent démesurés car nous possédons la faculté de fabriquer précisément le bonheur que nous recherchons.
Merci.
Dan Gilbert